Titre : Shégués, enfants du silence
Editeur : Wallâda éditions (Marignane)
Genre : Livre-Témoignage
Voici
un livre qui dérange. Ni une biographie, ni une autobiographie, encore moins un
roman, mais à coup sûr, une errance stupéfiante sur les chemins de l’humanisme,
de la générosité, du dévouement « à la rencontre de l’autre ».
Après
« Djetty la Manouche », Jeannine Valignat brise un silence que nos
sociétés ne peuvent occulter. Celui des enfants des rues en Afrique, celui des
enfants dits « sorciers » qui fuient,
épouvantés, la violence des adultes, les persécutions et la mort.
Le
récit de Jeannine Valignat n’est pas linéaire. Sa construction s’appuie sur des
jours de la semaine, se permet de nombreuses digressions champêtres au bord de
l’eau qui apaisent et ressourcent, de passages poétiques. Et en permanence, elle
tutoie le lecteur, comme pour mieux le convaincre de la véracité de ses
témoignages.
L’auteure est militante de
l’association « Droits des étrangers » à Nantes. Ces bribes de vie
qu’elle nous dévoile pourraient être recueillies dans beaucoup de grandes
villes françaises ou européennes. D’emblée, sa façon ouverte de présenter ces
visages nous les rend sympathiques : la petite Assiatou, de 6 mois, que sa
mère a emmenée de Guinée pour lui éviter l’excision, Glany, congolais de 15-17
ans dont on reparlera, Kadima, Lic, Massamba, Nana, une jeune Nigériane de 16
ans, menacée par les prêtres vaudou et droguée pour être prostituée, Okwa, Kwaho,
un Nigérian encore, émasculé parce qu’homosexuel, Rusen, la petite mongole, Nina,
des Roms du Kosovo dont personne ne veut, la maman Azérie qui a fui les
persécutions en Arménie et tous ceux de
Palestine, Tchétchénie, Ukraine, Mongolie, Syrie, Congo, Nigéria à nouveau qui
ont fui la guerre civile, les camps en plein désert, les dictatures impitoyables de Kabila en RDC ou
Bachar-el-Assad de Syrie ou la démence religieuse de Boko Haram.
Jeannine
Valignat nous montre, avec précision, comment il faut surmonter les normes de
l’administration française, souvent sujettes à caution, comme les contestables tests
osseux, combattus par la médecine, car les résultats peuvent se tromper de 2-3
ans et classer un enfant de 15 ans comme adulte, ce qui lui enlèvera la
possibilité de bénéficier de la Charte des Droits des Enfants. Elle montre
aussi la difficulté de protéger des enfants de la rue, de loger des familles
avec enfants, de monter un dossier crédible pour l’OFPRA qui délivre le droit
d’asile pour des réfugiés qui n’ont rien emporté.
Maintenant, parlons du jeune Glany
dont le témoignage a mis à jour des pratiques courantes et révoltantes sur les
enfants en République Démocratique du Congo, si ce pays peut réellement
s’appeler « démocratique ».
Il y a d’abord, les cas nombreux,
d’enfants en détresse fuyant la cruauté des soldats ou des sectes et
« récupérés » par de pédophiles qui ensuite en abusent. Et puis avec
force, dévoilons l’existence honteuse et abominable des prétendus « enfants
sorciers ».
De
quoi s’agit-il ? Des pasteurs évangélistes, dits de l’Eglise du réveil,
des Pentecôtistes, font croire aux parents crédules que leur enfant est
possédé, qu’il a le mal en lui, qu’il peut tuer leurs parents pendant la nuit,
porter malheur à la famille (Chômage, maladie…) et même aux voisins. Ils leur
font croire qu’ils ont conçu des enfants « sorciers ».
Les
parents prennent peur, les voisins aussi et ces enfants sont rejetés
impitoyablement. Ces pasteurs sensés parler avec Dieu sont crus et proposent
aux parents de désenvouter ces malheureux, à condition d’y mettre le prix.
L’exorcisme est redoutable. Des
enfants tout petits que l’on entoure de
cierges et qui meurent brûlés vifs sous les yeux de leurs parents. A
d’autres petits innocents, on fait avaler des litres d’huile de palme pour les
obliger à regorger le diable qui est en eux, d’autres sont enchainés et battus
jusqu’à ce qu’ils avouent la présence du diable en eux. Beaucoup meurent sous
les coups. S’ils échappent à la mort, ils finissent à la rue, rejetés et
craints de tous parents, voisinage et société. Ils prennent le nom de "shégués",
enfants des rues. Les filles se prostituent pour survivre, les garçons volent. Commence, alors, la chasse aux enfants des
rues. Elle est terrible.
Ces pasteurs, terme bien inapproprié,
sont riches. Ils roulent en voiture de luxe, habitent de belles demeures et
sont autant respectés que craints. Le bras droit du sinistre président de RDC,
monsieur Kabila, est un de ces pasteurs.
La
population a peur, car les shégués, enfants des rues, sont assimilés aux enfants
« sorciers », aux pouvoirs surnaturels, croit-on.
La police et l’armée entrent en action. Ils sont battus, torturés,
violés, tués à bout portant, sans procès. Des milliers d’enfants ont été ainsi
exterminés en RDC depuis 1990. Un certain colonel Kaniama, baptisé « Esprit
de la mort » en a fait sa spécialité…
Comment
s’étonner alors que les jeunes les plus instruits, courageux ou débrouillards, fuient ces pays et tentent, coûte que coûte,
de rejoindre des contrées plus protectrices
qui respectent les Droit de l’Homme.
L’Unesco,
l’Unicef connaissent ces situations mais l’opinion et la plupart des dirigeants
ne réagissent pas. Pétrole et minéraux rares en sont-ils la cause ?
Revenons à Glany. Voulant étudier à tout prix, il sera
inscrit dans un lycée technique. Bien plus tard, il obtiendra le droit d’asile
et il apprendra que sa mère, son frère
et sa petite sœur, sont en exil dans un autre pays européen. Opposant politique au président
Kabila du Congo (RDC), le père de Glany a été assassiné, ses enfants battus et apeurés,
sa mère violée et menacée. Voilà les vraies causes de leur exil.
Récit
de grande qualité, force de caractère de l’auteure et souvent, doute,
méditation au contact de la nature, mais toujours, volonté d’aller de l’avant.
Il est fort possible que le dévouement
et le refus viscéral de toute injustice de Jeannine Valignat aient pris source, à
l’adolescence, face à un père violent et injuste pour les siens.
Jeannine Valignat, invitée par le Centre
Francophonie de Bourgogne, a participé aux 4èmes
Rencontres de la Diversité, au Creusot, les 26/27/28 novembre 2015, où
nous avons découvert son œuvre et son engagement.
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Jeannine Valignat intervenant lors d'un débat (4èmes Rencontres de la diversité) |
Citations
« Nous ne trouvons jamais assez de
temps pour réfléchir, pour que notre pensée s’enrichisse de la pensée des
autres, pour que les idées germent, pour les faire circuler » (p. 131)
« Parler est douleur pour chacun
d’entre eux. Ils ont besoin d’oublier. La moindre question écorche une mémoire
déjà à vif, fait remonter le chagrin des deuils, la vision terrifiante des
exactions subies ou celle tout aussi brutale des violences vécues sous leurs
yeux. » (p.134)
« Souvent, ils sont tellement
troublés qu’ils se trompent sur les dates, les lieux, mélangent les noms, car
la souffrance refuse toute image trop crue, trop abrupte. La vérité fait mal. Le
flou est rassurant. » (p. 141)
« Nous le savons, la lutte des
femmes africaines contre ces mutilations (excisions) ne peut aboutir tant est
violente l’emprise de l’actuel fanatisme religieux, toutes religions
confondues. Pour protéger leur enfant, certaines choisissent de fuir vers
l’Europe » (p. 154)
« Je suis sans illusion, ni la
France, ni l’Europe ne reconnaîtront leur part de responsabilités dans les
véritables causes des tensions religieuses ou politiques qui engendrent ce flux
migratoire. Ce serait admettre les méfaits d’un libéralisme sauvage dont nos
pays s’accommodent aisément. Ce serait accepter de regarder en face les
conséquences de la guerre en Irak et celles du soutien à toutes les dictatures
mises en place (ou acceptées) en Afrique ou au Moyen Orient » (p. 161)
« Quel homme politique aura enfin
le courage de défendre l’idée de richesse humaine que représentent ces
populations en fuite ? » (p. 161)
« Il est urgent que chacun prenne
conscience de l’appel au secours de L’Afrique, du Moyen Orient, des
Balkans. » (p. 163)
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Jeannine Valignat |
Jeannine Valignat est née à
Sète. Elle découvre le théâtre à 5 ans avec ses grands-parents, en regardant
Carmen de Bizet, dans les arênes de Béziers.
Ecrivain, metteuse en scène, conteuse, elle est
aussi militante des Droits Humains et, à ce titre, engagée dans un combat
contre toutes les formes de discrimination. « Les mots sont mes seules armes »,
dit-elle.
Parmi plus de 30 pièces de
théâtre, citons, en vrac: Exil, La Trêve, Arrête-toi là et dors, Saada, Joseph Glidden ou la banalité du mal, certaines ont marqué le public par la force
de l’écriture, l’originalité d’une mise
en scène sobre et efficace, laissant toute sa place au jeu des acteurs.
Son imaginaire prend appui
sur la réalité du monde d’aujourd’hui. Elle se veut témoin de son temps. Dans
son écriture de conteuse, l’élan poétique, la fiction sont toujours une
invitation à la réflexion politique, au questionnement sur l’état de la
société.
« Djetty la manouche »
à propos des Gens du Voyage. « Le dernier chant de Mangawonish » à propos de la disparition de la
banquise et du sort des indiens Inuits. Son dernier livre « Shégués,
enfants du silence » est le vécu d’une militante, témoin du sort des mineurs étrangers.
Jeannine Valignat contant à l'école la Pépinière, Le Creusot |
Avant « Shégués, enfants du silence »,
elle avait publié « La braise » pour témoigner de sa passion pour le
théâtre qui l’a toujours nourrie. Ne dit-elle pas que « La Braise est quelque chose qui est là, qui
ne s’éteint pas, et sur laquelle il suffit de
souffler un peu pour que tout s’enflamme… ».
Assurément une femme de conviction.
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