12 février 2021





 

                                     Illégitimes (Fayard)

                          De Nesrine Slaoui (Maroc)

                     Illégitimes est un livre témoignage et en même temps, un livre de lucidité, de révolte et d’une certaine manière de revanche.

                     

                      Le grand-père Mohamed a quitté son Maroc natal pour la France afin de reconstruire le pays après la catastrophe de la 2ème guerre mondiale et grâce à un regroupement familiale sa femme et ses enfants ont pu le rejoindre, dont le père de Nesrine.

                    Ce ne fut pas le paradis comme on lui a fait croire, loin de là : baraquement, travail pénible.

                      Ses enfants, les parents de Nesrine, ont pris la relève, à leur tour, ont occupé des métiers pénibles et peu rémunérés qui ont miné leur santé.

                     Nesrine est née au Maroc, a vécu à Apt, dans une cité, en face d’une autre cité à l’identique, qui cumule les mêmes inconvénients : bâtiments construits à la va-vite, environnement dégradé.

                    Comme tous les petits Français, elle va à l’école et ses bons résultats tout au long de sa scolarité lui donnent envie de réussir et de se hisser dans la cour des privilégiés.  Elle réussit le concours de Sciences Po et se retrouve dans un univers autre qu’elle décrit fort bien.

                   Ce livre sincère, un cri d’injustice, relate le malaise de ces jeunes issus de l’émigration, mais Français de plein droit.

Différents par leur couleur de peau, différents par leurs quartiers, différents par les habits ou le langage de leurs parents, ils ressentent une différence qui les révolte. Nesrine qui se réjouit de sa réussite bien gagnée, s’aperçoit, elle aussi qu’elle est différente par sa classe sociale, ce qu’elle nomme une transclasse.

                L’auteure montre clairement, dans ce roman/témoignage, ce tiraillement, ces à-côtés qui créent un réel mal-être, le mal-être des banlieues.

                Cependant pour Nesrine Slaoui, la publication de ce livre lui a sans doute été dicté par un besoin impérieux de témoigner par respect pour les siens et les nombreux résidents des banlieues et peut-être est-ce aussi une bouffée d’espoir ?

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Citations

(p.42) La réussite scolaire n’a rien à voir avec l’intelligence ; c’est l’environnement qui peut soit la favoriser soit l’éteindre.

(p.47) je ne peux pas renoncer à la fois à ma classe et à mon appartenance ethnique, la violence serait trop grande, j’ai besoin de ceux qui partagent mon histoire et mon histoire est celle d’une femme issue de l’immigration qui a grandi dans un milieu semi-rural et en milieu populaire

(p.54/55) Dans les quartiers populaires, courir quand on voit des uniformes est un réflexe de survie.

Quelque chose en moi a pris feu au même moment. « Racailles », « voyous », « territoires perdus de la république », « banlieues à nettoyer au kärcher »…

Chaque mot prononcé par les représentants des partis politiques dans les médias était comme de l’essence jetée sur ma colère, un incendie intime que je tentais de maîtriser mais qui repartait de plus belle. Les banlieues appelaient à l’aide mais elles étaient de nouveau mises en accusation. Combien d’avocats, de médecins, de policiers, de pompiers, de journalistes, de professeurs issus de ces quartiers portent en eux cette colère et cette humiliation ?

(p.57) Cette vidéo s’ajoute à toutes les autres : visages tuméfiés, coups de matraque, plaquages ventraux, insultes, mamans contrôlées plus qu’ailleurs en raison de leur couleur de peau ou de leur foulard. Alors le sentiment d’injustice s’immisce en nous jusqu’aux entrailles et empêche de dormir.

(p.68) Le rappeur Booba : « Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire. Mes aînés sont dans le clan des vaincus, des dominés. Ils ont connu le protectorat imposé par la France au Maroc puis la décolonisation, l’immigration et la ghettoïsation. Ces humiliations insidieuses font partie de mon patrimoine généalogique. Nous héritons des traumatismes de nos ancêtres sans même en être conscients.

(p.95) Cette honte d’appartenir à une classe sociale inférieure, c’est exactement ce que la bourgeoisie voulait que je ressente. Elle voulait que je dénigre les miens. En fait, cette aventure faite de méandres et d’impasses, de pentes, de faux plats, de dénivelés, d’écueils, ne pouvait se vivre que seule.

 Ce que l’on nomme les transclasses ou les transfuges de classe font, en réalité, des allers-retours permanents entre ces deux mondes toute leur vie. Ils sont les témoins, les cibles privilégiées, de la violence de classe.

(p.97) Etre bourgeois, c’est avoir la maitrise des détails (du paraitre), l’art de la distinction. A cela s’ajoute une culture générale valorisée par les grandes écoles, un ensemble de savoirs, de savoirs-être, de savoirs-faire et de goûts qui n’ont rien de spontané. C’est une construction qui se pérennise dans le temps, léguée avec le reste du patrimoine de génération en génération. Et l’acquisition de cet ensemble ne peut se faire sans argent.

(p.98) Ces différences sociales ne seraient pas dérangeantes si elles ne fabriquaient pas des inégalités…La réalité est que pour changer de classe sociale, il faut épouser ses pratiques.

(p.111) Pour en revenir aux jeunes femmes maghrébines, elles ont été les 1ères à devoir jongler, entre traditions de leurs parents et la culture française. Leur jeunesse n’a été qu’une négociation permanente des interdits… Leur place était à la maison, sanctuaire préservé des rites et pratiques du Maghreb jusque dans la décoration.

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Petite bio :

                 

Nesrine Alaoui nait au Maroc et arrive en France à l'âge de trois ans. Elle grandit dans un quartier populaire d’Apt dans le Vaucluse. Sa mère travaille comme femme de ménage, son père comme maçon. Elle est la première de la famille à obtenir le baccalauréat (ES), en 2012. Elle intègre la prépa Sciences Po d'Avignon, puis est reçue en master à Sciences Po Paris;  Elle explique comprendre qu'« aucun diplôme ne gomme [ses] origines » étrangères et sociales. Elle est diplômée de Sciences-Po Paris en 2018.                   

7 février 2021

 

                      Les impatientes (Emmanuelle Colas)

                     De Djaïli Amadou Amal (Cameroun)

                            

            « Les impatientes », c’est trois femmes, trois destins sacrifiés, une seule s’en échappera.

             Djaïli Amadou Amal, l’écrivaine camerounaise, nous brosse le portrait de Ramla, Hindou et Safira, trois sacrifiées sur l’autel de la tradition, des intérêts privés et du statut social, victimes de la gloriole masculine.

             Ramla est jeune, elle va passer le bac et envisage de devenir pharmacienne. Elle aime et est aimé d’Aminou. Mais tout s’écroule ; après une prière hâtive, la voilà mariée à un homme plus âgé, l’associé de son père.  Adieu rêve et avenir, sacrifiée sans autre forme de discussion. Pourtant, sa propre mère ressasse à longueur de journée rancune et rancœur, mais elle est soumise et doit se taire. Et, bien sûr, dans cette société les études sont inutiles pour une femme.

            Hindou, la sœur de Ramla, bien jeune aussi, au « caractère tranquille et soumis » est mariée à son cousin Moubarak, un bon à rien, un débauché, un violent, connu de tous comme tel, dont elle a peur. Mais il faut faire plaisir à l’oncle Moussa dont les co-épouses, à longueur de journée, se livrent à de rivalités qui en viennent parfois aux mains. Triste avenir. Hindou, sera violentée, cocufiée, battue par son mari, rejetée par son père quand elle viendra se plaindre. Elle finira dans la dépression et la mélancolie.

             Safira, elle, a 35 ans, c’est la seule épouse de son mari. L’arrivée de Ramla comme co-épouse bouleverse son existence jusqu’ici sereine. Son époux qu’elle interroge, lui répond : « La polygamie est normale et même indispensable pour le bon équilibre du foyer conjugal ».

           Safira déterminée, n’aura cesse d’agir pour provoquer le départ ou la répudiation de sa rivale co-épouse et tous les moyens seront bons.

          En fin de compte, Ramla après la perte de son enfant, s’enfuira et retrouvera et son amour de jeunesse, Aminou et son frère qui avait pris sa défense contre son père.

          Commentaires

        L’auteure camerounaise, féministe et victime de ces pratiques, apporte des réponses.

            Tout le monde conseille aux femmes : la patience, la munyal. Car la patience est une vertu, rappelle-t-on aux fillettes et aux femmes et il s’ensuit une cascade de recommandations qui s’abattent sur les femmes comme les criquets sur un champ de sorgho : « Craignez Dieu ; Ne boudez pas, ne suppliez pas ; ne réclamez rien », le tout recouvert du mot Coran qui touchant au sacré, réduit au silence.

        C’est un difficile combat pour la dignité des femmes que mène Djaïli Amadou Amal. Qu’a mené en son temps Mariana Bâ dans « une si longue lettre » et plus récemment, Fatou Keita avec son roman « Rebelle ».

           Il y a encore des Bastille à combattre. Outre la parole et la dénonciation, le plus sûr combat est bien l’éducation de tous et en particulier des fillettes. Victor Hugo avait raison de dire : « L’ignorance est la nuit de l’esprit ».

         Succès foudroyant que ce roman puisqu’il a obtenu le prix Goncourt des lycéens dans de nombreux pays, en France certes, mais aussi le Goncourt de l’Orient que dirige Salma Kojok (Liban), l’amie du Centre Francophonie, historienne et romancière.

       Un livre CHOC.

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Qui est madame Djaïli Amadou Amal?  Madame Amadou Amal est née en 1975 à Maroua dans le département de Diamaré au Cameroun.




                 C’est une militante féministe et écrivaine camerounaise d'expression française.

                   Madame Amadou Amal s’est affirmée comme militante féministe à la tête de l’association « Femmes du Sahel » devenant ainsi « la voix des sans voix ». 

                 Ce roman Les Impatientes, paru au Cameroun sous le titre Munyal ou les larmes de la patience a obtenu le Goncourt des Lycéens 2020 pour la France, l’Algérie, la Grèce, la Pologne, la Roumanie, la Belgique, la Suisse, l’Uruguay, de L’Orient et le Prix Orange du Livre en Afrique 2019.

                 À travers l'écriture, Djaïli Amadou Amal dénonce les pesanteurs sociales liées aux traditions et aux religions, les problèmes sociaux de sa région, notamment les discriminations faites aux femmes.

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