Illégitimes (Fayard)
De Nesrine Slaoui (Maroc)
Illégitimes est un livre
témoignage et en même temps, un livre de lucidité, de révolte et d’une certaine
manière de revanche.
Le grand-père
Mohamed a quitté son Maroc natal pour la France afin de reconstruire le pays
après la catastrophe de la 2ème guerre mondiale et grâce à un regroupement
familiale sa femme et ses enfants ont pu le rejoindre, dont le père de Nesrine.
Ce ne fut pas le paradis
comme on lui a fait croire, loin de là : baraquement, travail pénible.
Ses enfants, les parents
de Nesrine, ont pris la relève, à leur tour, ont occupé des métiers pénibles et peu
rémunérés qui ont miné leur santé.
Nesrine est née au Maroc, a vécu à Apt, dans une cité, en face d’une autre cité à l’identique,
qui cumule les mêmes inconvénients : bâtiments construits à la
va-vite, environnement dégradé.
Comme tous les petits
Français, elle va à l’école et ses bons résultats tout au long de sa scolarité
lui donnent envie de réussir et de se hisser dans la cour des privilégiés. Elle réussit le concours de Sciences Po et se
retrouve dans un univers autre qu’elle décrit fort bien.
Ce livre sincère, un cri
d’injustice, relate le malaise de ces jeunes issus de l’émigration, mais Français de plein droit.
Différents
par leur couleur de peau, différents par leurs quartiers, différents par les
habits ou le langage de leurs parents, ils ressentent une différence qui les
révolte. Nesrine qui se réjouit de sa réussite bien gagnée, s’aperçoit, elle
aussi qu’elle est différente par sa classe sociale, ce qu’elle nomme une
transclasse.
L’auteure montre clairement,
dans ce roman/témoignage, ce tiraillement, ces à-côtés qui créent un réel
mal-être, le mal-être des banlieues.
Cependant pour Nesrine Slaoui,
la publication de ce livre lui a sans doute été dicté par un besoin impérieux
de témoigner par respect pour les siens et les nombreux résidents des banlieues
et peut-être est-ce aussi une bouffée d’espoir ?
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Citations
(p.42) La
réussite scolaire n’a rien à voir avec l’intelligence ; c’est
l’environnement qui peut soit la favoriser soit l’éteindre.
(p.47) je
ne peux pas renoncer à la fois à ma classe et à mon appartenance ethnique, la violence
serait trop grande, j’ai besoin de ceux qui partagent mon histoire et mon
histoire est celle d’une femme issue de l’immigration qui a grandi dans un
milieu semi-rural et en milieu populaire
(p.54/55)
Dans les quartiers populaires, courir quand on voit des uniformes est un
réflexe de survie.
Quelque
chose en moi a pris feu au même moment. « Racailles »,
« voyous », « territoires perdus de la république »,
« banlieues à nettoyer au kärcher »…
Chaque
mot prononcé par les représentants des partis politiques dans les médias était
comme de l’essence jetée sur ma colère, un incendie intime que je tentais de
maîtriser mais qui repartait de plus belle. Les banlieues appelaient à l’aide
mais elles étaient de nouveau mises en accusation. Combien d’avocats, de médecins,
de policiers, de pompiers, de journalistes, de professeurs issus de ces
quartiers portent en eux cette colère et cette humiliation ?
(p.57)
Cette vidéo s’ajoute à toutes les autres : visages tuméfiés, coups de
matraque, plaquages ventraux, insultes, mamans contrôlées plus qu’ailleurs en
raison de leur couleur de peau ou de leur foulard. Alors le sentiment d’injustice
s’immisce en nous jusqu’aux entrailles et empêche de dormir.
(p.68) Le
rappeur Booba : « Ce sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire.
Mes aînés sont dans le clan des vaincus, des dominés. Ils ont connu le
protectorat imposé par la France au Maroc puis la décolonisation, l’immigration
et la ghettoïsation. Ces humiliations insidieuses font partie de mon patrimoine
généalogique. Nous héritons des traumatismes de nos ancêtres sans même en être
conscients.
(p.95) Cette
honte d’appartenir à une classe sociale inférieure, c’est exactement ce que la
bourgeoisie voulait que je ressente. Elle voulait que je dénigre les miens. En
fait, cette aventure faite de méandres et d’impasses, de pentes, de faux plats,
de dénivelés, d’écueils, ne pouvait se vivre que seule.
Ce que l’on nomme les transclasses ou les
transfuges de classe font, en réalité, des allers-retours permanents entre ces
deux mondes toute leur vie. Ils sont les témoins, les cibles privilégiées, de
la violence de classe.
(p.97) Etre bourgeois, c’est avoir la maitrise des détails (du paraitre), l’art de la distinction. A cela s’ajoute une culture générale valorisée par les grandes écoles, un ensemble de savoirs, de savoirs-être, de savoirs-faire et de goûts qui n’ont rien de spontané. C’est une construction qui se pérennise dans le temps, léguée avec le reste du patrimoine de génération en génération. Et l’acquisition de cet ensemble ne peut se faire sans argent.
(p.98) Ces
différences sociales ne seraient pas dérangeantes si elles ne fabriquaient pas
des inégalités…La réalité est que pour changer de classe sociale, il faut
épouser ses pratiques.
(p.111) Pour
en revenir aux jeunes femmes maghrébines, elles ont été les 1ères à devoir
jongler, entre traditions de leurs parents et la culture française. Leur
jeunesse n’a été qu’une négociation permanente des interdits… Leur place était
à la maison, sanctuaire préservé des rites et pratiques du Maghreb jusque dans
la décoration.
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Petite bio :
Nesrine Alaoui nait au Maroc et arrive en France à l'âge de trois ans.
Elle grandit dans un quartier populaire d’Apt dans le Vaucluse. Sa mère travaille comme
femme de ménage, son père comme maçon. Elle est la première de la famille
à obtenir le baccalauréat (ES), en 2012. Elle intègre la
prépa Sciences Po d'Avignon, puis est reçue en master à Sciences Po Paris; Elle
explique comprendre qu'« aucun
diplôme ne gomme [ses] origines » étrangères et
sociales. Elle est diplômée de Sciences-Po Paris en 2018.
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