Dans le
ventre du Congo (Seuil/Mémoire d’Encrier)
De Blaise Ndala (RDC/Québec)
Voici un
grand roman qui chevauche allègrement les époques et scrute avec précision
l’histoire de ce vaste pays.
Le récit
La belle princesse Tshala Nyota Moelo, fille
du roi, Kena Kwete III, est destinée au fils du roi voisin. Mais la belle
princesse, lycéenne chez les religieuses belges tombe sous le charme d’un
certain René Comhaire, mi diplomate belge mi escroc amateur de masques.
Le
courroux du père/roi ainsi désavoué est une menace et pour sa fille et pour
René Comhaire lui-même. Les autorités coloniales l’éloignent rapidement
laissant la princesse, de fait, sans protection. L’amant en fuite a le temps de
confier la jeune femme, en danger, à un collègue, un commerçant peu scrupuleux,
un certain Mark De Groof qui abuse de la jeune fille et face à la révolte et la
colère de cette dernière, l’expédie de force à Bruxelles où avec une vingtaine
d’autres Congolais, elle sera la vitrine de l’œuvre civilisatrice de la
Belgique, à l’Exposition Universelle de 1958.
Et
l’ignominie a lieu. La princesse et les autres Congolais sont parqués dans un
enclos à ciel ouvert et sont sujets de la part des visiteurs à des quolibets,
cris de singes et jets de bananes. La même ignominie eut lieu dans la même
ville en 1897 où 267 Congolais prirent le bateau pour Anvers. Mais Français ne
nous moquons pas ; les autorités françaises ont fait la même chose avec
des Kanaks à l’Exposition Coloniale de Paris en 1931. 111 Kanaks mis en enclos
sur le thème du « sauvage cannibale » !!!
L'atomium, symbole de l'expo 1958 de Bruxelles |
Après une
dispute entre Congolais, la princesse blessée, enceinte du viol, perd son bébé et
décède. Et personne au Congo ne sait ce qu’elle devient.
50 ans
plus tard, sa nièce, belle aussi et princesse du même prénom, Nyota, venue
parfaire ses études universitaires à Bruxelles, se met à la recherche de sa
tante.
Dans
l’écheveau de l’histoire et au milieu de nombreux personnages (le chanteur
congolais Wendo Kolosoy, le footballeur Passy Yakembo, l’africaniste Jeff
Funcken et Francis Dumont, en mal de père), elle peut retrouver la trace de la
disparue et se recueillir sur sa tombe au cimetière de Tervuren.
A travers cette tragédie, ce long et très
documenté roman dégage 5 lignes de force :
· Le Kongo, contrairement à ce que les puissances coloniales pensent, a
bien eu un panthéon de dieux, des dynasties royales puissantes, des prophètes
et même, une Jeanne d’Arc noire du nom de Kimpa Vita.
· Après Stanley qui cartographie le pays, le Congo devient la propriété
personnelle du roi belge ; l’occupation est d’une rare violence et d’une barbarie sans
limite : esclavagisme, exécutions sommaires, mains coupées….
· Et cette ignominie d’exposer comme des animaux de zoo des êtres humains
dans un enclos, lors des expositions universelles (1897 et 1958), à Bruxelles.
· Le roman aborde la période de l’indépendance, la mise sur orbite de Patrice
Lumumba, un patriote lucide et actif, son exécution et la duplicité de Mobutu,
le chef des armées.
· Enfin, Blaise Ndala, en humaniste, termine ce long roman en invitant les générations
futures, du Congo et de la Belgique, à la réconciliation et imagine le pari d’une
fraternité apaisée pour l’avenir.
Un bon et
grand roman.
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Citations
(p.14)
Le pouvoir de la parole pour recoudre la camisole de l’honneur perdu sous le
regard scrutateur des gardiens de mémoire. »
(p.57)
« Nuit et jour le fleuve poursuit son voyage vers l’embouchure. Quiconque
se tient sur la berge en espérant surprendre les torrents rebroussant chemin
vers la source n’a rien compris aux murmures des montagnes »
(p.134)
« Selon la légende qui remonte au 5ème siècle, il y avait dans les eaux
bordant la ville où vivent mes parents, un géant du nom de Druoon Antigon.
Moitié homme, moitié monstre, cette horrible créature réclamait un droit de
passage exorbitant aux navires qui croisaient sa route. Mais le géant ne
faisait pas que cela : il coupait la main à quiconque, homme ou femme, refusait
de payer. » La suite : un héros arrive, un centurion romain (rien que
ça) et coupe la main du géant et la jette dans l’Escaut (Belgique), d’où le nom
Antwerpen « la main jetée ».
(p.249)
« Un véritable ami est un rempart lorsque les éléments se déchainent et
que le péril rôde »
(p.252)
« On devient ce qu’on reçoit » !!!!
(p.279)
Nul n’est prisonnier de ses gènes, la vie est une aventure bien plus riche
qu’un procès sans fin aux dieux.
(p287)
« Quiconque convole en justes noces avec un étranger épouse la terre qui a
nourri l’élu de son coeur »
(p.290)
Tout problème a forcément une solution.
(p.320)
Le hasard était souvent meilleur serviteur que la volonté de l’homme et qu’il y
avait derrière le voile qui le recouvrait, une trappe qu’il fallait ouvrir sans
se poser mille et une questions.
(p.354)
Un enseignant veut dire aussi un guide.
(p.357)
La mémoire n’est pas un tribunal, c’est un antidote pour le futur.
Rappel de la page 329 : Woto le Pieux souverain ; les rois Kongo avec Kimpa Vita, la Jeanne d’Arc noire. Le prophète Simon Kimbangu et son martyre dans les chaines montagneuses de Bula Matari.
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