21 juin 2021




 




                         Les villages de Dieu (Mémoire d'encrier)

                                                        d'Emmelie Prophète (Haïti)


L'auteure

 

            Voici un roman, à 1ère vue bien noir et désespérant au regard de la démocratie et de la dignité humaine, mais qui apporte aussi des lueurs d’espoir.

             Dans un style linéaire et une description minutieuse et fine, Emmelie Prophète, la romancière haïtienne, nous décrit, de l'intérieur, une société à la dérive.

             Dérive qui nous peine, car Haïti, 1er pays Noir à se libérer, méritait mieux. Et l'histoire nous indique que peu de présidents haïtiens sont morts dans leur lit ; c'est dire la violence inhérente au destin de ce pays des Caraïbes. La violence est partout et les habitants (femmes, enfants) doivent vivre avec. Emmelie Prophète qui demeure à Haïti sait aussi nous montrer ce que ses personnages vivent de l'intérieur.

            Le récit

              Célia, dite Cécé, est une jeune fille qui suit tant bien que mal l'école, plus mal que bien. Elle vit chez sa grand-mère, Grand Ma dans le roman avec Tonton Frédu, une épave alcoolisée, suite à son expulsion des USA où il a tenté de s'expatrier.

               Rosia, la mère de Celia, qui se prostituait, est morte sans doute d'une overdose, laissant sa petite fille en charge à sa mère qui l'élèvera et aimera jalousement. Grand Ma survit grâce à un restaurant de rue.

               Cette vie bien que précaire pourrait couler tranquillement sans les gangs, gangrène de tous les quartiers de Port-au-Prince, aux noms bibliques. Les gangs, cette mafia locale, se font la guerre entre eux et les chefs disparaissent les uns après les autres sous les coups de leurs propres compagnons de fortune, aussitôt remplacés.

               Comme toute mafia, ces gangs imposent leur loi, rançonnent la population, violent impunément, soumettent les femmes, assassinent sans limites, au nez et à la barbe d'un Etat qui n'en a que le nom.                                    

                Cette violence, cette insécurité, cette peur permanente, pèse sur les gens, qui chacun à sa manière s'adapte selon sa situation ; certains se jettent dans la religion, (sectes qui pullulent, Vaudou), d'autres par la débrouille, la prostitution, car il faut bien vivre.

                 Célia n'échappe pas à la règle. Cependant en femme libre, elle sait mettre des limites et nul homme ne lui mettra la main dessus, y compris Carlos qui l'aime sincèrement.

                Sa chance, facebook et les réseaux sociaux où elle s'avère être une influenceuse habile ; et même les chefs de gangs passent par elle, c'est vrai par la menace, pour garder leur notoriété.

            Bien sûr, elle n'échappera pas aux marques, son gagne-pain, qui tenteront de profiter d'elle, Là encore, Cécé saura garder son indépendance, son territoire de liberté.

           Au-delà de cette histoire, deux faits nous frappent : C'est la solidarité familiale et la solidarité entre voisins ; Cécé reste, car elle ne veut pas abandonner tonton Frédo qui pourtant vit dans son monde. Et face aux malheurs les voisins font bloc.

          Autre fait marquant qu'on retrouve en Afrique et partout sur la planète, la force, le courage, la détermination, le sens du sacrifice de toutes ces femmes qui portent la société et l'empêchent de sombrer.

                    A travers la vie des petites gens, les doutes du Pasteur, la timidité et le mal-être de Pierrot, pourtant futur chef de gang, Emmelie Prophète sait donner à ses personnages une réalité humaine.

                                       

          Analyse sociale lucide et roman d'une grande richesse psychologique.

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Emmelie Prophète est aussi l'auteure d'un autre roman remarqué et profond.


Citations

(p.62) « Les filles des pays pauvres ont souvent besoin d’un ailleurs pour exister, elles y envoient leurs rêves en éclaireurs »

(p.63) « Les années passent. Elles ne nous lavent pas forcément du passé et ne nous laissent pas indemnes. Tout ce qu’on fait, tout ce qu’on dit, tout ce qu’on voit constituent des charges qui pèsent, clouent sur place, exigent beaucoup de volonté pour avancer. »

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7 juin 2021

 

Sa dernière chance (Robert Laffont)

                              D’Armel JOB (Belgique)



                  





   L’être humain est ainsi fait ; lorsqu’il se sent enfermé, son seul but est de se libérer. Et Elise Dubois, le personnage central de ce roman sensible d’Armel Job, en est l’illustration parfaite.

                     Elise Dubois et sa grande sœur, Marie-Rose, perdent leur père d’un accident de voiture, puis leur mère d’un cancer. Les voilà orphelines. Marie-Rose, l’aînée, protège et couve sa petite sœur. Une fois gynécologue, elle aide sa sœur à devenir infirmière, mais un évènement dramatique à l’hôpital où Elise exerce, provoque son renvoi.

                     Dès lors, Elise devient tout naturellement la gouvernante du couple Gayet. Marie-Rose, très prise par ses obligations à la maternité et Edouard Gayet, son mari, par son agence immobilière, se déchargent du foyer sur Elise. Elle tient la maison : ménage, courses, cuisine et charge des 3 enfants du couple.

                    Marie-Rose juge sa sœur fragile et simple qu’il faut protéger à tout prix (ses économies sont même gérées par Edouard !). Belles intentions qui permettent une présence à demeure. Somme toute, une bonne familiale toute rêvée !

                     Mais Elise, presque 40 ans, a un besoin. Peu coquette, vêtue d’habits démodés, elle n’attire pas les regards masculins. Peu de chance d’accrocher un homme. Il y a internet et les sites de rencontres. Sous le prénom de Rachel, elle rentre en contact avec un certain Tristan ; en réalité Pierre Fauvol, un antiquaire.

                     La 1ère rencontre aura lieu au Belle-Vue, un café et l’histoire s’achèvera ou se poursuivra, c’est selon, dans le même café. La boucle sera   bouclée.

                   Le site est un site catholique, géré par un certain chanoine Grimaux, ancien curé, ancien aumônier d’hôpital et depuis, gérant des trésors de l’évêché. Ce chanoine, affranchi des vœux de chasteté et de célibat, a l’addiction des pièces rares. Et par l’intermédiaire de l’antiquaire, Pierre Fauvol, peu regardant sur l’origine des objets religieux, le chanoine s’approprie des pièces rares. C’est son péché mignon. Mais il faut de l’argent et de plus en plus. Et l’arrivée d’Elise qui en a (le chanoine a été le confident des deux sœurs) fera l’affaire. Elle parait simplette, un peu niaise, voilà le pigeon que la destinée envoie.

                   La rencontre chaste du café se poursuit à l’hôtel. Pierre Fauvol, le coureur de jupons, habitué aux rencontres sans lendemain et tarifées, pensant déniaiser une simplette, se retrouve, éberlué, pris en main par une partenaire entreprenante et déterminée. Vouloir, c’est savoir.

                   Or, pour réaliser son objectif, Elise abandonne quelques jours le foyer Gayet et tout l’équilibre familial est sens dessus dessous. Plainte de la sœur, stupéfaction du beau-frère qui a des visées (pas très catholiques) sur sa belle-sœur et surtout quelque chose à se reprocher, chagrin de la petite Marie.

                 Elise revendique son indépendance et sa liberté. Angoisse du chanoine, rage du beau-frère qui par jalousie sort un Luger, au nez de celui qu’il croit son rival. Le drame est proche.

                 Si, tous les personnages, excepté Marie-Rose, pataugent entre mauvaises accroches et combines douteuses, Elise, elle, sera récompensée par sa détermination et vivra la félicité dans « un futur simple affirmatif » (Chateaubriand) qu’elle recherchait.

                Comme toujours, Armel Job, dans l’univers habituel de Liège, sait mieux que quiconque, mettre à nu l’âme humaine et pointer les petites ou grandes bassesses et les grandeurs d’âmes.

              Style agréable, descriptions précises, sens du détail, jeux de mots (Grimaux, Fauvol, Belle-vue). Un roman prenant.

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Citation :

(p.62) C’est, comme nous le savons tous, que les pensées, les sentiments ont le pouvoir de transformer la physionomie.

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