Les villages de Dieu (Mémoire d'encrier)
d'Emmelie Prophète (Haïti)
L'auteure
Voici un roman,
à 1ère vue bien noir et désespérant au regard de la démocratie et de
la dignité humaine, mais qui apporte aussi des lueurs d’espoir.
Dans un style
linéaire et une description minutieuse et fine, Emmelie Prophète, la romancière
haïtienne, nous décrit, de l'intérieur, une société à la dérive.
Dérive qui nous
peine, car Haïti, 1er pays Noir à se libérer, méritait mieux. Et l'histoire
nous indique que peu de présidents haïtiens sont morts dans leur lit ; c'est
dire la violence inhérente au destin de ce pays des Caraïbes. La violence est
partout et les habitants (femmes, enfants) doivent vivre avec. Emmelie Prophète
qui demeure à Haïti sait aussi nous montrer ce que ses personnages vivent de
l'intérieur.
Le récit
Célia, dite
Cécé, est une jeune fille qui suit tant bien que mal l'école, plus mal que
bien. Elle vit chez sa grand-mère, Grand Ma dans le roman avec Tonton Frédu,
une épave alcoolisée, suite à son expulsion des USA où il a tenté de
s'expatrier.
Rosia, la
mère de Celia, qui se prostituait, est morte sans doute d'une overdose, laissant
sa petite fille en charge à sa mère qui l'élèvera et aimera jalousement. Grand
Ma survit grâce à un restaurant de rue.
Cette vie
bien que précaire pourrait couler tranquillement sans les gangs, gangrène de
tous les quartiers de Port-au-Prince, aux noms bibliques. Les gangs, cette
mafia locale, se font la guerre entre eux et les chefs disparaissent les uns
après les autres sous les coups de leurs propres compagnons de fortune,
aussitôt remplacés.
Comme toute mafia, ces gangs imposent leur loi, rançonnent la population, violent impunément, soumettent les femmes, assassinent sans limites, au nez et à la barbe d'un Etat qui n'en a que le nom.
Cette
violence, cette insécurité, cette peur permanente, pèse sur les gens, qui
chacun à sa manière s'adapte selon sa situation ; certains se jettent dans
la religion, (sectes qui pullulent, Vaudou), d'autres par la débrouille, la
prostitution, car il faut bien vivre.
Célia n'échappe pas à la règle. Cependant en femme libre, elle sait mettre des limites et nul homme ne lui mettra la main dessus, y compris Carlos qui l'aime sincèrement.
Bien sûr, elle n'échappera pas aux marques, son gagne-pain, qui tenteront de profiter d'elle, Là encore, Cécé saura garder son indépendance, son territoire de liberté.
Au-delà de cette histoire, deux faits nous frappent : C'est la solidarité familiale et la solidarité entre voisins ; Cécé reste, car elle ne veut pas abandonner tonton Frédo qui pourtant vit dans son monde. Et face aux malheurs les voisins font bloc.
Autre fait marquant qu'on retrouve en Afrique et partout sur la planète, la force, le courage, la détermination, le sens du sacrifice de toutes ces femmes qui portent la société et l'empêchent de sombrer.
A travers la vie
des petites gens, les doutes du Pasteur, la timidité et le mal-être de Pierrot,
pourtant futur chef de gang, Emmelie Prophète sait donner à ses personnages une
réalité humaine.
Analyse sociale lucide
et roman d'une grande richesse psychologique.
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Emmelie Prophète est aussi l'auteure d'un autre roman remarqué et profond.
Citations
(p.62)
« Les filles des pays pauvres ont souvent besoin d’un ailleurs pour
exister, elles y envoient leurs rêves en éclaireurs »
(p.63)
« Les années passent. Elles ne nous lavent pas forcément du passé et ne
nous laissent pas indemnes. Tout ce qu’on fait, tout ce qu’on dit, tout ce
qu’on voit constituent des charges qui pèsent, clouent sur place, exigent
beaucoup de volonté pour avancer. »
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