Titre : Le thé n’a plus la même saveur
Auteur : El Hassane
Aît MOH (Maroc)
Editeur :
L’Harmattan
Genre :
roman
Voici
un roman qui aborde avec lucidité deux sujets d’importance et
d’actualité : la situation d’un immigré et le mariage de leurs enfants
arrangé par les parents et par de-là la situation des femmes.
H’ddou, jeune homme marocain, est jugé
apte par un recruteur français avec la complicité des autorités locales, à
« prêter ses bras » dans une entreprise de Lyon.
L’auteur raconte la sélection, le départ, le
voyage, l’arrivée anonyme, la petite chambre Sonacotra à Lyon, la vie d’un
célibataire.
Un an
après, retour au village, plus exactement à Amerdoule, un village perdu quelque part entre
une vallée et un oued (p. 51), cette fois en « facance ». Il est fêté comme un héros d’autant plus qu’il
apporte moult cadeaux que chacun espère. Plantureux repas avec les villageois
qui en profitent.
Au deuxième
retour, les deux familles ont arrangé un mariage avec une cousine, H’ra, qui,
heureusement, est celle avec laquelle il a joué et « flirté », petit.
Fête
au village, preuve officielle et ostentatoire de la virginité de la jeune
mariée, tradition et honneur obligent. Mais ce bonheur n’a qu’un temps. Il faut
repartir.
L’année suivante les choses se sont gâtées. La jeune femme, prise comme
bonne à tout faire par la belle famille, est retirée par son dragon de mère et
un divorce est prononcé sans l’avis de la jeune épouse.
Retour
difficile d’H’ddou à Lyon. Il vit, un temps, avec une jeune française, sans
doute par compensation. Mais les préjugés des parents, la différence de culture
vont contaminer leur relation et une séparation s’ensuit.
C’est la chute pour H’ddou. Très mal au fond de lui puisque tout
s’écroule, il se laisse aller, ne va plus au travail et les autorités
préfectorales lui signifient son expulsion.
Revenu à la
case départ, il ne supporte pas l’atmosphère pesante au village. On n’admet pas
l’échec d’un des siens. H’ddou doit quitter ce climat délétère et fuir à Marrakech, la grande ville. Et au hasard
d’un thé à la menthe qui aura la même saveur celui-là, la serveuse du bar n’est
rien d’autre que son ex-femme….
Ce
roman au style linéaire a le mérite de mettre le doigt sur le contraste des
cultures, la situation aléatoire de l’immigré, le poids écrasant des traditions
et la persistance des superstitions dans un Maroc profond.
En
sociologue, Hassane Aït MOH, l’auteur, nous montre du dedans, la vie,
parfois/souvent peu enviable d’un émigré (travail harassant, regards
soupçonneux, logement exigu ou indécent, coupure affective, différence de
religion). Et l’autre point fort de ce récit dévoile la vie, ô combien
étouffante, des jeunes femmes marocaines : pression sociale, interdits en
tout genre et en particulier religieux, omniprésence des familles, surtout des
mères et belles-mères.
Ce
roman humaniste que l’on lit d’une traite a le mérite d’aborder des problèmes
que les sociétés tant européennes que maghrébines auraient intérêt à régler
rapidement.
Un
roman très intéressant.
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Citations
« H’ra était déchirée entre ses sentiments
d’amour et le jugement de la société qui plaçait les parents au dessus de tout
et considérait l’amour comme une simple faiblesse de l’âme. Le cœur, dit-on,
est aveugle » (p.79)
« Plutôt les piqûres d’abeilles
dans ton pays que le miel dans le pays des autres » (p.9 et 113).
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Qui est El Hassan Aït MOH ?
Hassan
est né en 1962 à Bouskour, une ancienne mine de cuivre, à côté de Ouarzazate,
une ville moyenne, au pied du haut Atlas, au Sud-est du Maroc.
Après
le BAC, il étudie la sociologie et l’anthropologie à l’université de Lyon. En
1980, il obtient une maitrise de sociologie et une licence en sciences de
l’éducation et plus tard, il décrochera un DEA en sociologie.
De retour au Maroc, il sera maitre d’école avant
d’être appelé à la formation des maitres au Centre de Formation des Enseignants
de Ouarzazate. Et en 2002, il rejoint la mission culturelle marocaine en
France.
Berbérophone, Hassan maitrise à la perfection l’arabe
et le français, langue qui est sa langue d’écriture.
Il habite la Drôme (France).
Outre l’animation
d’ateliers d’écriture, Hassan assure des formations interculturelles et des stages pour
enseignants portant sur « la connaissance des publics porteurs de cultures
différentes ».
El Hassane Aït Moh a aussi publié : « Le captif de Mabrouka » (2010) et « Les jours de cuivre » (2013), tous les deux aux
éditions de L’Harmattan.
Avis du Centre Francophonie de Bourgogne: les 3 romans de El Hassane Aït Moh, écrivain marocain francophone, sont tous des livres forts.
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Brève incursion dans l’imaginaire de l’écrivain :
- « Le moteur de mon désir
d’écrire, c’est aussi la volonté longtemps enfouie d’exprimer des émotions
fortes, des opinions, des croyances ».
- « Je crois en le pouvoir des mots
lorsqu’ils s’organisent en écriture ».
- « L’écriture est pour moi une
aventure…Elle libère une énergie créatrice qui nous emporte loin de notre
quotidien…dans l’acte d’écrire, il y a souvent une volonté d’évasion, de
découverte et de recherche. »
- «L’homme est conditionné par sa propre
culture dont il se sent fier ou qu’il rejette… Je pense que le fait de s’éloigner
de son pays renforce l’attachement à ses origines. »
- « J’ai un penchant dans mes
écrits pour les personnes exclues, marginalisées…parler de ces gens-là, c’est
leur redonner une forme de dignité dont les a privés la société ». (Extraits de
l’interview à Jadaliyya et à Perspectives Méditerranéennes).
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