Avant la pluie
D’Anne–Claire Decorvet (Bernard Campiche édition
Suisse)
Super roman à la construction originale.
Les personnages
successifs font évoluer le récit et le lecteur découvre l’histoire selon le
principe du saut de mouton ou passage de témoin, car la question que le lecteur
se pose et la mère de l’enfant surtout, comment cet enfant autonome a-t-il pu se
faire happer par une voiture ?
Anne-Claire
Decorvet a découpé son récit en suivant
les 4 saisons. Il commence en été et se termine au printemps.
L’auteure
donne, tour à tour, la parole à des personnes qui ont un lien avec l’enfant, soit
avec les lieux, soit avec des connaissances de la famille ou du meurtrier.
Le 1er
personnage est un étudiant en médecine, Axel. Il assiste en témoin impuissant, à l’opération/sauvetage
du petit Olivier, l’enfant renversé par une voiture. Pour lui, c’est horrible
et le médecin chef lui fait découvrir le quotidien de la médecine opératoire.
Ensuite vient
le témoignage du père, Grégoire, un comédien en tournée qui se trouve loin du
drame.
Puis, Anne-Claire Decorvet donne la parole à d’autres
personnages, plus ou moins centrés sur leur propre sort, comme la comédienne
Candice, passablement névrosée ou plus original, à un toutou.
Mais le fonds de
l’histoire se dévoile à travers le récit du jeune délinquant, Gaëtan, celui qui
a fauché Olivier avec la voiture de Rachid. Comme rien n’est simple, Gaëtan est
manipulé par Rachid, un petit truand qui fait chanter d’autres jeunes et se
trouve, lui-même, sous la coupe d’un gros bonnet, sur trafic de drogues.
L’automne, la 2ème
partie, se profile avec la chute des
feuilles et débute par le monologue de la vieille voisine, Violette, femme
très curieuse et esseulée, au comportement pour le moins bizarre, voire
désaxée.
Puis défilent
des personnages fort astucieusement : Lydra, la policière qui sait bien
des choses mais ne peut le prouver, Idriss, le jeune employé des postes, que fait chanter Rachid, et encore Hamid, le grand père de Gaëtan, désormais
en prison, et qui vient demander pardon à Emma, la mère d’Olivier, pour la faute
de son petit fils.
Le point
culminant de cette 3ème partie, intitulée hiver, la saison la plus
triste et déprimante, c’est la prise de parole d’Emma, mère brisée, qui
cherche, sans cesse, un indice qui dévoilera le pourquoi de ce dramatique et
inexpliqué accident. Emma en est certaine, son cœur de mère le sait; il y a bien, un
fait, un geste, une raison, un enchaînement, un hasard qui a provoqué la mort
de son enfant. Jeune enfant qui savait où et quand traverser à un feu rouge. Pourquoi lui, a t-il été happé, et pas les autres piétons qui attendaient?
Le roman
s’achève par le printemps, symbole de renouveau, de renaissance ou de connaissance des faits. C’est Olivier,
l’enfant victime qui s'exprime par :
« Quant j’avais 6 ans, j’ai mouru ». Et enfin, on découvre la vraie raison
du drame.
Tout le récit
avance au rythme de la pluie, d’où le titre « Avant la pluie ».
Phénomène météorologique fréquent sur les bords du lac de Genève où se passe
l’action ou tout simplement symbole de la pluie qui lave, rafraîchit, revigore….
Beau style,
descriptions précises avec des métaphores puissantes, inédites et appropriées, phrases percutantes
souvent poétiques.
Un plaisir de
roman.
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Anne-Claire DECORVET |
Licenciée ès lettres, enseignante de français à Genève, Anne-Claire Decorvet a reçu le prix Georges-Nicole 2010 pour son ouvrage, En habit de folie, lequel a été suivi, en 2014, par L’Instant limite (Prix Pittard de l’Andelyn 2015). Le roman, Un lieu sans raison, a été publié en 2015 (roman réédité en camPoche en 2016), (Prix Édouard-Rod 201; Prix du Public de la RTS 2016; Prix Lettres frontière 2016).
Citation
« J’ignorais qu’il en va de l’amour
comme du théâtre, où l’on acquiert au fil du temps la chair et l’intensité qui
nous rendent infiniment meilleurs. Au contraire, je croyais consommer une
marchandise à durée limitée. Mon amour était une boite à bonbons dont je ne me
goinfrais jamais sans redouter mon
appétit. La boite allait s’épuiser, le niveau baissait, je le savais, je le
sentais. Ma gourmandise illimitée neutraliserait le manque et l’amour ne se
renouvellerait pas. Je voyais fondre avec terreur le sucre éphémère. Grégoire était l’homme de ma vie, mais
je n’étais pas la femme de la sienne ! » (p. 43)
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