29 décembre 2019


A la découverte d’une auteure francophone : Salma KOJOK (Liban)
Salma KOJOK est née en 1971 en Côte d’Ivoire, dans une famille libanaise.

      Après un doctorat d’histoire obtenu à l’université de Nantes en 2002, Salma Kojok décide de s’installer au Liban. Aujourd’hui, elle vit entre Beyrouth et la Bourgogne. Après avoir enseigné à l’International College de Beyrouth, elle se consacre aujourd’hui à l’écriture et anime des ateliers d’écriture en France et au Liban. 
     Fervente amoureuse des mots, de la magie de l’écriture et de la langue française, elle préside depuis 2016 le Grand jury étudiant du Goncourt de l’Orient, dont la prochaine session s’est ténue en décembre 2019, au centre culturel français de Beyrouth.

Dans son premier roman « La maison d’Afrique » aux éditions Alfabarre, Salma KOJOK raconte l’histoire de Jamil, un jeune Libanais qui quitte son village du sud-Liban pour l’Afrique. Le roman explore les questions de l’exil, de la rencontre culturelle et du sens de la « maison ».
Une Mention spéciale lui a été décernée en 2015 pour cet ouvrage par le jury du 34ème prix France-Liban de l’ADELF

Son 2ème roman, « Le dérisoire tremblement des femmes », est paru en juillet 2019 aux éditions Erick Bonnier.  À travers le récit de vie de la mère, mêlé à celui de sa fille, ce roman raconte ce que fait l'exil aux corps des femmes et à leurs langages.
Roman dont nous avons fait une présentation détaillée récemment. 
Salma Kojok préside le grand jury du Choix Goncourt de l’Orient pour la troisième année consécutive.


   Salma Kojok s’exprime sur ces moments privilégiés, sur le Goncourt de L’Orient, sur son approche à la lecture. (Propos recueillis par E. K.)

       C’est une grande joie de participer à cette aventure du Choix Goncourt de l’Orient, de lire les romans, d’en discuter avec les étudiants, de partager avec les membres du jury, puis avec le public, toutes les interrogations que posent nos lectures.
      Chaque nouvelle sélection du Goncourt nous propose la découverte d’univers singuliers. Chaque livre est une aventure offerte. S’engager dans la lecture d’un livre est un événement fort. On s’imprègne d’atmosphères nouvelles, on vit avec des personnages, on vibre à son rythme.
      Au fil des ans, un lien se tisse entre lecture et écriture, grâce aux ateliers d’écriture qui prolongent désormais l’aventure du Choix de l’Orient. Ces ateliers sont proposés aux étudiants qui souhaitent explorer de nouvelles formes d’écriture à partir des romans de la sélection Goncourt.
    Chaque étudiant, membre du grand jury, vient à la délibération avec le choix fait dans son université après discussion à l’intérieur d’un premier jury. Il peut arriver que l’étudiant qui représente son université ait personnellement préféré un autre roman. Le vote est ainsi une aventure au croisement de décisions individuelles et collectives.
   Le choix du jury

  Le jury de l'édition 2019 a choisi l’excellent roman de l’auteure mauricienne Natacha Appanah « Le ciel par-dessus le toit ».
C’est un roman profond, puissant et ciselé de l’intime humain.
        N.A. dépouille avec une précision de magicienne, les désirs, les pensées, les envies avouées ou non avouées, les pulsions, les manques, les non-dits de ses 3 personnages : Eliette/Paloma, Phénix (la mère) et Loup.

        Le récit utilise à plusieurs reprises « il était une fois ». Nous ne nageons certes pas dans des pays de contes de fées, mais dans les contrées du très profond des êtres que l’auteure nous dévoile comme dans un rêve éveillé, comme passé au filtre du style indirect libre. Sorte d'entre deux :"l'esprit qui mélange l'ici et le là-bas, l'hier et le demain, le peut-être et le certainement " (p.115)

L'édition 2019 en images
Salma Kojok avec des membres du jury étudiants

Quelques étudiantes en échange

Chose sérieuse: quel roman choisir?













Quel avenir pour le Goncourt Choix de l’Orient ?
Un bel avenir. Le Choix de l’Orient est un espace où s’épanouissent des talents de lecteurs. C’est le lecteur qui fait le livre. C’est lui qui donne son sens au roman, qui lui permet d’être polysémique… Le Choix de l’Orient apprend à être un lecteur talentueux, un lecteur qui saura parler des livres qui le touchent, qui saura aussi convaincre les autres à lire.
Votre approche de la lecture
 La lecture a ceci de formidable qu’elle offre la possibilité d’entrer dans la pensée de l’autre, dans son rythme, son univers, sa musique. C’est l’espace où s’épanouit la rencontre de l’autre et ceci est essentiel dans notre monde. Grâce aux romans, on peut accéder à une forme de complexité des êtres et du monde, comprendre les autres, se comprendre mieux soi-même. La lecture, les romans sont de magnifiques lieux de découvertes essentielles.

Dans l’univers littéraire de Salma Kojok, deux thèmes s’imposent au fil de ses œuvres : l’importance du langage et le ventre des femmes.
Voici ce que dit, Salma Kojok, à propos du langage dans une publication récente avec 4 autres romanciers libanais, concernant le mouvement de révolte populaire actuel au Liban.
Salma Kojok : La révolution dans le langage est encore à faire.
Écrire sur le mouvement populaire qui traverse le Liban actuellement exige de repenser le langage. Comment nommer ce qui s’y passe ? Révolution, renaissance, désorganisation, rêve, chaos, révolte, troubles, bouleversement, subversion, secousse ? De quoi ce soulèvement populaire est-il le nom, le symbole et les symptômes, les cicatrices et le présage ?
       Depuis plusieurs semaines, les grandes villes du Liban vivent au rythme de leurs rues. Leurs habitants se sont emparés des lieux publics. À Beyrouth, le centre-ville construit par les vainqueurs de la guerre, cette ville jusqu’ici confisquée par le monde des affaires, l’esprit élitiste, la vulgarité mondaine, le luxe opulent, est aujourd’hui transformé par la présence des gens. Les lieux en sont plus accueillants, joyeux, souriants, vivants et frissonnants des paroles échangées, des actes de solidarité. On y déguste des graines de turmos (lupin) et de foul (fèves) ; on y discute, on y aime, on y palabre. Les citoyennes, les citoyens se sont emparés de la rue en un geste de réappropriation qui dit un nouveau projet de vie, qui appelle à une nouvelle donne politique plus égalitaire, plus soucieuse des droits et des libertés. Il se dégage de ces lieux, de ces mouvements une énergie créatrice, une joie de vivre, une volonté exprimée d’être acteur de son histoire et d’un projet collectif à construire.
         La révolution dans le langage est pourtant encore à faire. Si les discours sont plus attentifs aux mots prononcés, à leurs sens apparents et à ce qui s’y cache aussi, il reste que le langage doit être repensé de fond en comble. Dans certaines insultes, dans certaines blagues qui circulent, dans des slogans, on lit encore par exemple la force du système patriarcal et les formes de domination traditionnelles. Il est temps de faire aussi la thaoura dans notre langage.
 Concernant le ventre des femmes, expression qui revient plusieurs fois dans ces deux romans, il reste à en interpréter le sens. Est-ce la mater dolorosa, celle qui souffre ? Ou la mère qui infante et construit le monde ? Ou les deux ? Nous n’avons pas la réponse.
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