Un
ailleurs à soi (Mémoire d’encrier)
D’Emmelie Prophète (Haïti)
Quand l’enfermement est invivable, quand les vies se heurtent aux murs de la vie, un seul désir : Fuir.
C’est ce que nous décrit dans « Un ailleurs à soi », la Haïtienne Emmélie Prophète.
Le récit
Tous les personnages de ce roman
sombre ont des vies cabossées et les plus hardis cherchent à fuir dans un autre
pays ou à s’en sortir par tous les moyens, un autre ailleurs en somme.
Prenons les trois sœurs :
Clémence, Jeannette et Maritou. Une famille brisée. La mère a fui à l’étranger
laissant sa plus jeune fille, née d’un autre père, aux soins de ses deux
aînées. Et l’enfant, rejetée, malaimée, réagira en vomissant à la moindre
contrariété et grossira ce qui en fera un objet de moquerie pour ses camarades
d’école.
Néanmoins Maritou sera étudiante et
trouvera en Julie, une autre vie cabossée, une écoute et une amitié même si
elle doit attendre de longues heures, jusqu’à tard, la nuit, la fin du service
de Julie.
Julie, la serveuse du bar Le Ayizan
a fui la maison familiale pour échapper à un père, certes plongé dans la
bondieuserie, mais surtout pour fuir ses visées sexuelles sur sa fille. Elle a
abandonné sans regret deux frères agressifs et méprisants, une mère névrosée et
soumise à son mari, mais, à son grand regret, un petit frère mal traité et doué
pour le dessin, une échappatoire pour lui.
Serveuse, elle se sent libre mais
n’hésite pas à se prostituer après son service pour accroitre sa possibilité
d’indépendance. Sa relation particulière mi-amoureuse, mi-amicales avec Maritou
lui sert de béquille, d’ancrage, de rêve qui grâce aux lectures de son amie,
lui ouvrent d’autres horizons ; encore un ailleurs.
Alors que beaucoup d’Haïtiens
comme Maritou, cherchent à quitter une île qui enferme, Julie, elle, préfèrera
la sécurité dans les bras d’un homme, certes, plus âgé qu’elle mais argenté.
Un paradoxe, Quentin, le
propriétaire du bar Le Ayizan, a fui lui aussi sa Normandie natale pour
s’assumer, être autre, être riche et il choisit Haïti où le Blanc est encore
une référence.
Cependant, lui aussi, a opté pour
un ailleurs qui ne le satisfait qu’à moitié. Et quand il revient aux obsèques
d’un ami, en Normandie, bien longtemps après, le temps a tellement effacé le
passé que désormais, il est coupé de ses racines et Le Ayizan sera son port
d’attache.
Maritou suivant son rêve, vole
l’argent de ses soeurs qui devait servir à réparer le toit de la masure qui les
abrite et prendra l’avion pour le Surinam, le dernier jour avant la fermeture
des frontières vers ce pays d’Amérique du Sud. Un ailleurs à soi qui a pu se
réaliser au détriment de Clémence et jeannette, ses sœurs. Faut-il dans la vie,
que la survie de quelques-uns passe par le sacrifice d’innocents ? Que
l’existence est lourde à porter !
Roman sombre, existences difficiles
pour de nombreux Haïtiens, la majorité. Et pourtant peuple souriant, mais le
recours aux croyances du vaudou et l’existence de nombreuses églises
évangéliques ne cache-t-il pas, une angoisse existentielle ?
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Citations
(p.62)
« Les filles des pays pauvres ont souvent besoin d’un ailleurs pour
exister, elles y envoient leurs rêves en éclaireurs »
(p.63)
« Les années passent. Elles ne nous lavent pas forcément du passé et ne
nous laissent pas indemnes. Tout ce qu’on fait, tout ce qu’on dit, tout ce
qu’on voit constituent des charges qui pèsent, clouent sur place, exigent
beaucoup de volonté pour avancer. »
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Emmelie Prophète est l’auteure de deux recueils de
poèmes, Des
marges à remplir (2000) et Sur parure d’ombre (2004).
Et l’auteure des romans suivants :
·
2007 : Le testament des
solitudes (Mémoire d’encrier) ( Prix littéraire des Caraïbes)
·
2010 : Le reste du temps
·
2012 : Impasse Dignité,
(Mémoire d'encrier)
·
2015 : Le bout du monde est
une fenêtre (Mémoire d'encrier)
·
2018 : Un ailleurs à
soi (Mémoire d’encrier).
·
2020 :
Les villages
de Dieu (Mémoire d’encrier)
Emmelie
Prophète nous promène de hasard en hasard
et dit que la parole est belle, même dans le mauvais temps.
Son œuvre est comme un miroir. La mélancolie, la solitude,
les brisures, le chant du pays perdu et retrouvé, le désir à ciel ouvert, les
blessures sont comme des secrets chuchotés.
De 2006 à 2011, Emmelie Prophète est responsable de
la Direction Nationale du Livre, attachée au Ministère de la culture en Haïti.
Entre 2014 et 2017, directrice générale de la
Bibliothèque Nationale d’Haïti.
Depuis décembre 2011, elle est responsable de la
section culturelle du quotidien haïtien, Le Nouvelliste, et par
ailleurs, directrice du Bureau haïtien du droit d’auteur.
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