15 janvier 2021

 

                                 Un ailleurs à soi (Mémoire d’encrier)

                                   D’Emmelie Prophète (Haïti)


           Quand l’enfermement est invivable, quand les vies se heurtent aux murs de la vie, un seul désir : Fuir.

   C’est ce que nous décrit dans « Un ailleurs à soi », la Haïtienne Emmélie Prophète.

Le récit

            Tous les personnages de ce roman sombre ont des vies cabossées et les plus hardis cherchent à fuir dans un autre pays ou à s’en sortir par tous les moyens, un autre ailleurs en somme.

            Prenons les trois sœurs : Clémence, Jeannette et Maritou. Une famille brisée. La mère a fui à l’étranger laissant sa plus jeune fille, née d’un autre père, aux soins de ses deux aînées. Et l’enfant, rejetée, malaimée, réagira en vomissant à la moindre contrariété et grossira ce qui en fera un objet de moquerie pour ses camarades d’école.

           Néanmoins Maritou sera étudiante et trouvera en Julie, une autre vie cabossée, une écoute et une amitié même si elle doit attendre de longues heures, jusqu’à tard, la nuit, la fin du service de Julie.

            Julie, la serveuse du bar Le Ayizan a fui la maison familiale pour échapper à un père, certes plongé dans la bondieuserie, mais surtout pour fuir ses visées sexuelles sur sa fille. Elle a abandonné sans regret deux frères agressifs et méprisants, une mère névrosée et soumise à son mari, mais, à son grand regret, un petit frère mal traité et doué pour le dessin, une échappatoire pour lui.

            Serveuse, elle se sent libre mais n’hésite pas à se prostituer après son service pour accroitre sa possibilité d’indépendance. Sa relation particulière mi-amoureuse, mi-amicales avec Maritou lui sert de béquille, d’ancrage, de rêve qui grâce aux lectures de son amie, lui ouvrent d’autres horizons ; encore un ailleurs.

             Alors que beaucoup d’Haïtiens comme Maritou, cherchent à quitter une île qui enferme, Julie, elle, préfèrera la sécurité dans les bras d’un homme, certes, plus âgé qu’elle mais argenté.

            Un paradoxe, Quentin, le propriétaire du bar Le Ayizan, a fui lui aussi sa Normandie natale pour s’assumer, être autre, être riche et il choisit Haïti où le Blanc est encore une référence.

            Cependant, lui aussi, a opté pour un ailleurs qui ne le satisfait qu’à moitié. Et quand il revient aux obsèques d’un ami, en Normandie, bien longtemps après, le temps a tellement effacé le passé que désormais, il est coupé de ses racines et Le Ayizan sera son port d’attache.

           Maritou suivant son rêve, vole l’argent de ses soeurs qui devait servir à réparer le toit de la masure qui les abrite et prendra l’avion pour le Surinam, le dernier jour avant la fermeture des frontières vers ce pays d’Amérique du Sud. Un ailleurs à soi qui a pu se réaliser au détriment de Clémence et jeannette, ses sœurs. Faut-il dans la vie, que la survie de quelques-uns passe par le sacrifice d’innocents ? Que l’existence est lourde à porter !

          Roman sombre, existences difficiles pour de nombreux Haïtiens, la majorité. Et pourtant peuple souriant, mais le recours aux croyances du vaudou et l’existence de nombreuses églises évangéliques ne cache-t-il pas, une angoisse existentielle ?

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Citations

(p.62) « Les filles des pays pauvres ont souvent besoin d’un ailleurs pour exister, elles y envoient leurs rêves en éclaireurs »

(p.63) « Les années passent. Elles ne nous lavent pas forcément du passé et ne nous laissent pas indemnes. Tout ce qu’on fait, tout ce qu’on dit, tout ce qu’on voit constituent des charges qui pèsent, clouent sur place, exigent beaucoup de volonté pour avancer. »

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     Emmelie Prophète est née à Port-au-Prince en 1971 où elle fait des études de droit et de lettres modernes. Elle suit des cours de communication à Jackson State University dans le Mississippi (USA), travaille dans l’enseignement, est nommée attachée culturelle d’Haïti à Genève. Elle collabore à diverses revues.

Emmelie Prophète est l’auteure de deux recueils de poèmes, Des marges à remplir (2000) et Sur parure d’ombre (2004).

Et l’auteure des romans suivants :

·         2007 : Le testament des solitudes (Mémoire d’encrier) Prix littéraire des Caraïbes

·         2010 : Le reste du temps

·         2012 : Impasse Dignité, (Mémoire d'encrier)

·         2015 : Le bout du monde est une fenêtre (Mémoire d'encrier)

·         2018 : Un ailleurs à soi (Mémoire d’encrier). 

·         2020 : Les villages de Dieu (Mémoire d’encrier)

Emmelie Prophète nous promène de hasard en hasard et dit que la parole est belle, même dans le mauvais temps.

Son œuvre est comme un miroir. La mélancolie, la solitude, les brisures, le chant du pays perdu et retrouvé, le désir à ciel ouvert, les blessures sont comme des secrets chuchotés.

De 2006 à 2011, Emmelie Prophète est responsable de la Direction Nationale du Livre, attachée au Ministère de la culture en Haïti.

Entre 2014 et 2017, directrice générale de la Bibliothèque Nationale d’Haïti.

Depuis décembre 2011, elle est responsable de la section culturelle du quotidien haïtien, Le Nouvelliste, et par ailleurs, directrice du Bureau haïtien du droit d’auteur.

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