N’être (La cheminante)
De Charline Effah (Gabon)
Voici un roman en petit format,
mais un grand roman à l’écriture puissante.
Quelle importance et quelles
conséquences, aura l’attitude d’une mère ou d’un père, sur la vie future d’un
enfant ? Sans aucun doute, conséquente et primordiale. Le bon roman de
Charline Effah le démontre.
Une femme, Medza dans le
roman, mariée et délaissée par son mari et à laquelle il lui doit sa carrière,
(bonjour la muflerie !), se retrouve enceinte après une liaison avec un autre homme.
Cette mère, de honte, sentant
la catastrophe inéluctable, tente de décrocher le fœtus, car « Point de salut pour une femme hors du cadre
conjugal ». Comme un défi de vie, Lucinda, une petite fille, plus
noire que ses frères et sœurs, vient au monde. Vite, il faut éloigner la preuve
de la faute et sa génitrice la confie à sa sœur qui l’élèvera. Bébé que l’on
dépose « le temps de l’oubli ou du
pardon ».
Un peu plus tard, on va
récupérer la fillette et on la loge, non pas dans la maison avec la famille,
mais dans la chambre de bonne, qui servira plus tard de débarras.
A 17 ans, Lucinda prend son
envol, non sans déchirure et vogue vers la France, avec son mal être et sa
dureté de façade, sa cuirasse en sorte.
Belle femme, elle attire les
regards. Un prétendant, Elvis, lui fait une cour assidue, mais il ne sera
jamais un amant. Par contre, un vrai amant choisi celui-là, fait son
apparition, Amos, déjà marié. « Mais
qu’est l’amour si non l’errance des cœurs qui se cherchent ».
Lucinda cherche et se cherche. Manipule
affectivement l’un et l’autre, en réalité, pour rester en vie, car la blessure
de l’enfance est toujours béante.
Enceinte, Lucinda se voit lâchée
par son amant qui, en grand courageux et en bon comédien, accepte les avantages
et refuse les inconvénients. Comment ne pas se rappeler la vie de sa mère ?
Lucinda a compris. Elle coupe tout
et retourne chez elle, voir sa mère, sa chambre de bonne, son enfance, humer
l’air de la terre natale.
Le contact avec la mère est froid,
puis sa mère se confie, se confesse plutôt, et l’origine de Lucinda éclate au
grand jour.
Peut-on juger une mère ? D’autant plus
que Lucinda voit de ses yeux, une femme brisée, désabusée, abandonnée. Ses
enfants se sont éloignés, son mari est mort en prison (cette femme bafouée
s’est vengée : un faux témoignage qui a précipité sa chute).
Si toute vérité n’est pas
toujours bonne à dire, ici, la vérité pour Lucinda a joué le rôle de
catalyseur, de re-naissance.
Et le titre N’ETRE qui joue avec
son paronyme NAITRE, traduit à merveille une histoire douloureuse qui réunit à nouveau
la mère et la fille. Et l’amour rompu, mère-fille, semble se reconstruire.
Bon roman, style travaillé et
dense, vocabulaire fort.
Charline Effah, une écrivaine
francophone de la diaspora africaine au talent prometteur.
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Citations
(p.31) « Qu’est-ce l’amour, sinon l’errance des cœurs qui se
cherchent ? »
(p.54) « Le futur
n’appartient à personne parce que nos peurs y siègent.
La seule chose qui me
fasse peur, c’est de ne plus m’obéir, de laisser le monde me modeler »
« Tu veux dire qu’un
mensonge validé par un grand nombre est plus crédible qu’une vérité détenue par
une minorité ».
(p.58) « On ne
peut rester la même personne toute sa vie, pas plus qu’on ne peut prendre nos
convictions pour des postulats universels ».
(p.60) « Les
apparences sont comme le sable dans le désert, elles recouvrent des carcasses
de vies, le temps qu’une tempête se lève et les mette à jour »
(p.64) Le mot
enjaillé : Charmé, s’amusé
(p.109) « La servitude putrifie l’homme »
(p.110) « Chacun
de nous a une image de sa vie, certains rêvent leur vie et d’autres vivent
leurs rêves »
(p.112)
« L’équilibre, c’est dans la tête qu’il siège »
(p.127) « Une
femme sans homme est perdue. Point de salut pour une femme hors du cadre
conjugal »
(p.128) « L’amour
est toujours motivé par le manque que l’on comble par l’autre, le manque l’on
souhaite qu’il comble afin de nous sentir entièrement nous-mêmes, entièrement
dépendants aussi »
(p.129) « Tu as
cru que ton bonheur dépendait de l’emprise que tu aurais sur lui, mais personne
n’appartient à personne »
(p.143) Dans l’épilogue :
« L’oubli est un rempart qui protège des assauts de la mémoire »
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