8 février 2010

Juillet au pays (Michèle RAKOTOSON)

Titre : Juillet au pays
Auteur :
Michèle RAKOTOSON
Editeur : Elytis (Bordeaux)
Genre : Chronique

Le livre que le Centre Francophonie de Bourgogne présente, ce mois-ci, est original à plus d’un titre. Original le papier utilisé, inédit le format (17x 24), bien choisies les reproductions de cartes postales anciennes et de timbres poste de l’époque, bienvenues les citations du poète Rabearivelo ou autres, preuve d’une réelle culture malgache. Ce n’est pas seulement une chronique, mais un livre souvenir, un livre histoire, un livre musée, un livre mémoire familiale.
Après 19 ans d’exil en France, Michèle Rakotoson qui avait dû fuir la dictature en 1983, revient à Madagascar, en juillet 2002.
Etant habituée à la vie parisienne, ayant phantasmé sur la Grande Ile, enjolivé le pays, rêvé d’un Eden de retrouvailles, à son arrivée, le choc est écrasant. Dès lors, d’Antananarivo, la capitale, à Ambohitantely, la ville de ses grands parents , sur les Hauts Plateaux, le spectacle des villes et villages, des rues, des bâtiments, des véhicules, des champs, l’écoute des confidences, les appels à l’aide, la réalité saute aux yeux, le pays qu’elle aime, s’enfonce dans la paupérisation. Et les termes utilisés sont sans équivoque : stigmates, victimes, bras ballants, sécheresse, pauvreté, misère, compassion, terres stériles, crasse, chaos…
Mais Michèle Rakotoson vient en écrivain et les écrivains sont les gens du temps. Et sans concession, elle désigne les responsables d’un tel délabrement : la colonisation française sanguinaire et prédatrice pendant un siècle (comment la patrie des Droits de l’Homme a-t-elle pu commettre les ignobles atrocités de 1947 ?), la main mise de la France après l’Indépendance, les dictatures, la corruption, les singeries de l’Occident, le déliquescence de l’Etat, la mondialisation et autre ultra libéralisme, les oukas suicidaires de la Banque mondiale et du FMI.

Son retour ne saurait se résumer à un simple retour au pays, c’est aussi un retour sur ses origines, son clan, sa famille, sa mémoire familiale. Comme pour le pays, la mémoire de sa famille gît en miettes dans l’humidité et les rats, au fond d’une remise. En bonne Mérina, elle laisse peu paraître ses émotions, mais la souffrance est là, brute, injuste, étouffante, comme un coup à l’estomac, qui transpire. Comment compatir à la douleur de ses ancêtres en lisant les carnets restants ? Comment un peuple peut-il se construire si rien n’est gardé de son histoire ? Camus disait que « la pauvreté n’a pas d’histoire » et Michèle Rakotoson le découvre et crie sa colère avec des mots, des mots mais avec quels mots dire la vérité ?
Chronique d’un retour est un grand livre comme une mélopée lancinante qui exprime, douleur et souffrance et aussi espoir, car l’auteur sait que les Malgaches sont courageux, déterminés, l’histoire l’a prouvé. Mais que de choses à changer !
Style, juste, concis, précis, ton intimiste comme dans un grand rêve éveillé. Chroniques d’un retour est le récit d’un grand écrivain comme Cahier d’un retour au pays natal.
Retour entre douceur et violence, maîtrise de soi et colère, suggestion et dénonciation, analyse lucide et découragement, entre humanité et espérance. Livre d’une grande profondeur et dignité.

Citation
« Pour survivre à l’Occident…à l’efficacité factice, je me suis raccrochée de toutes mes forces à ce coin de terre, que j’ai créé, recréé, adapté à tous mes états d’âme, refusant de m’enraciner ailleurs, des ailleurs qui auraient pu être chez moi,… ce lieu-ci ressemble étrangement au pays rêvé, mais il ne l’est pas. Quel lieu pour la mort et l’éternité ? »



Michèle Rakotoson est née à Tananarive en 1948. D’une famille cultivée (père journaliste, mère bibliothécaire), marquée par le protestantisme rigoureux, elle étudie au lycée Jules Ferry de Tananarive, obtient une licence de lettres malgaches.
Un temps professeur de lettres, elle doit s’exiler en 1983 pour raisons politiques. A Paris, elle passe un DEA de sociologie, puis devient journaliste à RFI et RFO. Et RFI lui confie le concours de nouvelles francophones.
Metteur en scène, auteure de pièces de théâtre, comme sa grand-mère paternelle, écrivain, militante du livre, Michèle Rakotoson est de tous les combats : contre les injustices racistes et sociales, contre les dégradations de la planète, contre l’autoritarisme politique, contre les atteintes aux Droits de l’Homme.
Son œuvre souvent centrée sur Madagascar évoque le sida, l’approche de la mort, les relations humaines. Son style plutôt intimiste revisite ce qu’il y a de plus profond chez l’être humain
Témoin infatigable, elle a sillonné le monde et marqué ses auditoires de ses interventions passionnées.
De retour au pays, elle se consacre désormais au renouveau de l’édition malgache.

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