4 octobre 2018

Charline EFFAH



                          
          N’être (La cheminante)
           De Charline Effah (Gabon)


               Voici un roman en petit format, mais un grand roman à l’écriture puissante.

                Quelle importance et quelles conséquences, aura l’attitude d’une mère ou d’un père, sur la vie future d’un enfant ? Sans aucun doute, conséquente et primordiale. Le bon roman de Charline Effah le démontre.

                 Une femme, Medza dans le roman, mariée et délaissée par son mari et à laquelle il lui doit sa carrière, (bonjour la muflerie !), se retrouve enceinte après une liaison avec un autre homme.

                Cette mère, de honte, sentant la catastrophe inéluctable, tente de décrocher le fœtus, car « Point de salut pour une femme hors du cadre conjugal ». Comme un défi de vie, Lucinda, une petite fille, plus noire que ses frères et sœurs, vient au monde. Vite, il faut éloigner la preuve de la faute et sa génitrice la confie à sa sœur qui l’élèvera. Bébé que l’on dépose « le temps de l’oubli ou du pardon ».

                Un peu plus tard, on va récupérer la fillette et on la loge, non pas dans la maison avec la famille, mais dans la chambre de bonne, qui servira plus tard de débarras.

               A 17 ans, Lucinda prend son envol, non sans déchirure et vogue vers la France, avec son mal être et sa dureté de façade, sa cuirasse en sorte.

             Belle femme, elle attire les regards. Un prétendant, Elvis, lui fait une cour assidue, mais il ne sera jamais un amant. Par contre, un vrai amant choisi celui-là, fait son apparition, Amos, déjà marié. « Mais qu’est l’amour si non l’errance des cœurs qui se cherchent ».

 Lucinda cherche et se cherche. Manipule affectivement l’un et l’autre, en réalité, pour rester en vie, car la blessure de l’enfance est toujours béante.

             Enceinte, Lucinda se voit lâchée par son amant qui, en grand courageux et en bon comédien, accepte les avantages et refuse les inconvénients. Comment ne pas se rappeler la vie de sa mère ?

             Lucinda a compris. Elle coupe tout et retourne chez elle, voir sa mère, sa chambre de bonne, son enfance, humer l’air de la terre natale.

             Le contact avec la mère est froid, puis sa mère se confie, se confesse plutôt, et l’origine de Lucinda éclate au grand jour.

            Peut-on juger une mère ? D’autant plus que Lucinda voit de ses yeux, une femme brisée, désabusée, abandonnée. Ses enfants se sont éloignés, son mari est mort en prison (cette femme bafouée s’est vengée : un faux témoignage qui a précipité sa chute).

            Si toute vérité n’est pas toujours bonne à dire, ici, la vérité pour Lucinda a joué le rôle de catalyseur, de re-naissance.

            Et le titre N’ETRE qui joue avec son paronyme NAITRE, traduit à merveille une histoire douloureuse qui réunit à nouveau la mère et la fille. Et l’amour rompu, mère-fille, semble se reconstruire.

            Bon roman, style travaillé et dense, vocabulaire fort.

            Charline Effah, une écrivaine francophone de la diaspora africaine au talent prometteur.

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Citations

(p.54) « Le futur n’appartient à personne parce que nos peurs y siègent. 

La seule chose qui me fasse peur, c’est de ne plus m’obéir, de laisser le monde me modeler »

               « Tu veux dire qu’un mensonge validé par un grand nombre est plus crédible qu’une vérité détenue par une minorité ».

(p.58) « On ne peut rester la même personne toute sa vie, pas plus qu’on ne peut prendre nos convictions pour des postulats universels ».

(p.60) « Les apparences sont comme le sable dans le désert, elles recouvrent des carcasses de vies, le temps qu’une tempête se lève et les mette à jour »

(p.64) Le mot enjaillé : Charmé, s’amusé

(p.65) un tarsier des Philippines : un petit primate

(p.98) une touque : un récipient métallique

(p.109) « La servitude putrifie l’homme »

(p.110) « Chacun de nous a une image de sa vie, certains rêvent leur vie et d’autres vivent leurs rêves »

(p.112) « L’équilibre, c’est dans la tête qu’il siège »

(p.127) « Une femme sans homme est perdue. Point de salut pour une femme hors du cadre conjugal »

(p.128) « L’amour est toujours motivé par le manque que l’on comble par l’autre, le manque l’on souhaite qu’il comble afin de nous sentir entièrement nous-mêmes, entièrement dépendants aussi »

(p.129) « Tu as cru que ton bonheur dépendait de l’emprise que tu aurais sur lui, mais personne n’appartient à personne »

(p.143) Dans l’épilogue : « L’oubli est un rempart qui protège des assauts de la mémoire »

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Charline EFFAH est née en 1977, à Minvoul, dans le nord du Gabon, mais grandit à Libreville avec sa famille.
À dix-huit ans, elle fait parvenir deux de ses nouvelles aux comités de divers prix littéraires. Une d'entre elles, intitulée La prière du petit maquisard recevra le prix décerné aux jeunes auteur par l'ACCT (future Organisation Internationale de la Francophonie).
Après une maîtrise de Lettres Modernes en 2000, elle poursuit ses études en France en 2002, à l'université Lille 3 et y obtient, en 2008, un doctorat de Lettres Modernes
Déménageant à Paris, elle devient enseignante tout en poursuivant ses activités d'écritures
En 2011, elle publie son premier roman, Percées et Chimères .
En 2014, son deuxième roman, intitulé N'être, lui vaut de nombreuses critiques très positives et justifiées
En 2018, publication d’un troisième roman, La danse de Pilar.
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