11 juillet 2021

 

                  Tihya : La légende des papillons aux ailes déployées                                                                              (Edition des femmes »                       

                                  De Nadia Chafik (Maroc)



            
Il était une fois – Ylla mag llan alli ylla- (en amazigh) et « le conte de s’écouler le long de l’oued et les humains rester sur la berge ». La magie de la célèbre légende berbère de la Kahina, appelée ici Tihya, ou Dihya ailleurs, peut opérer.

            Ylla mag llan alli ylla joue comme un embrayeur de récit, ici un rassembleur de famille, chaque fois que Nanna Tuda, la grand-mère octogénaire, s’apprête à reprendre l’histoire ; l’auditoire (petits enfants, femmes du foyer et un peu plus loin, les hommes) s’agglutine autour de la conteuse du soir. C’est l’hiver, dehors le froid, la neige, le vent mordant ; les corps étant fatigués par les occupations quotidiennes, rien de tels que la chaleur de la cheminée et un bol de soupe chaude ; et les corps apaisés sont ainsi attentifs à cette belle histoire qui a survolé les ans depuis le 7ème siècle, histoire qui est devenue légende et a façonné l’identité de toute une culture.

           Rappelons brièvement cette légende de la Kahina qui se perpétue et s’est colorée de plusieurs variantes comme toute légende.

          Alors que l’empire romain s’effondre en soubresauts convulsifs, au 7ème siècle, les Berbères, les premiers habitants, (nom de l'époque), voient leur territoire (Est algérien et Nord tunisien actuels) envahi par des conquérants venant de Bagdad pour étendre la doctrine du Prophète Mahomed. Les habitants se regroupent et repoussent tant bien que mal un occupant déterminé et convaincu de la vérité de sa foi.

          Les nobles arment et dirigent la résistance et parmi ces familles, se distingue une jeune fille, la Kahina, qui, de combat en combat, prendra la tête de la résistance à l’invasion arabe. Femme courageuse, déterminée et fin stratège, elle remportera de francs succès face à des généraux aguerris. Malgré l’appel à la tradition des femmes du clan, la Kahina, se montrera une femme de caractère à l’égale des hommes.

          Mais son affection pour un jeune arabe, un prisonnier, ce qui montre son côté humain donc faillible, la perdra car ce dernier la trahira. Et ce sera la chute dans l’honneur.

                                    Dans le récit de Nadia Chafik, les péripéties et les personnages divergent mais le substrat est le même. « Un conte est un conte, il a ses règles. On ne peut en changer le cours ». Nanna Tuda, grand-mère Tuda, enjolive son récit pour créer du merveilleux et faire rêver ses petits-enfants.

                                    Maintenant penchons-nous sur la construction très maitrisée et originale de ce roman.

              L’auteure a enchâssé trois récits : la légende, la vie de la grand-mère et ses enseignements, la réalité de la jeune génération, filles et belles-filles comprises.

             Si elle garde le merveilleux, elle cache aux enfants, le fils hors mariage, les ébats de la nuit de noces et la relation ambiguë avec le jeune prisonnier. La morale est sauve.

             Avec Tihya, Nadia Chafik, à travers la parole respectée de cette vieille grand-mère, fait passer plusieurs messages :

-                                *  Le côté rassurant du groupe rassemblé autour du feu, lien social et familial essentiel à l’épanouissement de tout individu.

-                                *  Les belles leçons d’humanisme et de tolérance, le rejet du fanatisme et de l’enfermement des femmes.

-                                 * Des messages d’optimisme : « L’amour est plus fort que tout » (p.331), « Aucune situation n’est inextricable » (p.332) ou de sagesse : « Personne n’est à l’abri de rien » (p.321)

-                                  *  La fin est significative, la nouvelle religion, hier rejetée et combattue, devient une religion qu’il faut accepter, car toute religion une fois installée, enlace la pensée et la vie des gens. « La foi qui prime » (p.290)

             Pour conclure, si ce roman peut nous sembler parfois, un peu long, on notera une expression très maitrisée, des descriptions précises et pertinentes. C’est indéniable, on est tenu en haleine jusqu’à la fin, et l’héroïne nous est sympathique et familière. Le lecteur est conquis et le merveilleux a donc pleinement rempli son rôle.

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                                     Nadia CHAFIK,
  est 
auteure de plusieurs romans; universitaire, elle dirige le master francophone de la Faculté des Sciences de l'Education de Rabat (Maroc)

Citations     

(p.129) « La maitrise du corps passe par la force de l’esprit. Sois réactive ! Apprends à ne pas flancher, envisage des plans de rechange »

(p.198) Ysli (fiancé) et Tislit (fiancée), les Romero et Juliette amazighs.

(p.279) Sa grandeur, non la grandeur factice des apparats, mais, celle sincère, réfléchie par le miroir de l’âme.

(p.290) « La foi qui prime » dit l’octogénaire. Bouythrane, le dieu amazigh.

(p.300) La vie est trompeuse ; ne vous y fiez pas. Personne n’est à l’abri.

(p.321) « Notre conte coule le long de l’oued et nous restons sur la berge »

(p.332) Aucune situation n’est inextricable.

(p.378) « Autant de langue on parle, autant d’homme on est » (Le calife Ali)

(p.384) Tihya, Dihya ou la Kahéna

Un conte est un conte, il a ses règles. On ne peut changer le cours.


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