Le Centre Francophonie de Bourgogne (CFB) a lu et beaucoup
aimé : « Noir Liban » (Erick Bonnier édition) de Salma KOJOK
Voici un roman de belle littérature
« Noir Liban » est un récit
à deux voix d’un même parcours et une 3ème voix lancinante, en
souffrance, celle d’un Liban chiffonné, déchiré, meurtri, d’où le titre.
Le récit est construit en miroir.
Maïmouna qui signifie « Heureuse » et « sous la protection
divine » dans la langue locale de Côte d’Ivoire, se confie sur sa vie
douloureuse, affectivement douloureuse, (écrit en italique) et en écho,
Youssef, son dernier ami au Liban, complète son histoire, en relatant ce
qu’elle lui a confié.
Le récit progresse sur deux jambes et
c’est le mérite de ce roman de changer de facettes, de points de vue.
Triste destin que celui de Maïmouna.
Née d’un père libanais, envoyé en l’exil en Côte d’Ivoire par sa mère pour le
sauver, Maïmouna sera séparée de sa maman biologique africaine et, à 9 ans, son
père l’emmènera au Liban pour la confier à sa mère. Elle ne verra plus sa mère
et son père reviendra au pays dans un cercueil.
Métisse, sa couleur de peau, la
mettra à la marge de la société libanaise, heurtée en permanence par les
regards, les paroles. La famille libanaise de son amoureux, Radwan, ne la
voudra pas comme belle-fille et Radwan, un professeur pourtant évolué, cèdera.
Après une enfance fracturée en Côte
d’Ivoire, il lui sera difficile de trouver sa place dans un Liban lui-même en
déliquescence que les Seigneurs de la guerre des 18 communautés
confessionnelles ont mené au désastre.
Commentaires du CFB
Trois points ancrages émergent de ce
grand roman.
-
L’histoire du petit Salifou affamé, voleur d’un jour, qui sous les yeux
de la petite Maïmouna horrifiée, est battu et cette phrase émise par des
adultes hantera à vie, Maïmouna : « C’est un Abed, il faut le
battre ». Ces mots auront marqué l’auteure elle-même, Salma Kojok, née en
Côte d’Ivoire, puisqu’elle y fait allusion dans ses deux précédents romans.
« Maison d’Afrique « (Afabarre éd.) et « Le dérisoire
tremblement des femmes » (Erick Bonnier éd.)
-
On notera la déchirure de Mariam, la grand-mère libanaise, une mère
courage qui a élevé avec abnégation et amour, cette petite fille différente,
qui a cru un temps sauver son fils et qui, finalement, le perd. Pathétique
destin pour cette mère et grand-mère déterminée et qui sombre.
-
Enfin, Salma Kojok évoque à plusieurs reprises « le puits » des
femmes (voir citations) et la poétesse québécoise Hélène Dorion, avance, elle,
« la falaise » des femmes. Toute femme serait-elle en permanence au
bord du gouffre ?
On notera un procédé stylistique original. La
dernière phrase des chapitres devient le titre du chapitre suivant.
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(p.65)
Toute femme porte en elle un puits. Le puits est là qui veille. Il suffit d’un
moment de trouble et la voilà au bord du gouffre, c’est alors sans retour.
(p.85) Elle (Maïmouna) mettait des mots sur tout ce qu’elle voyait. Elle regardait le monde et immédiatement y posait un manteau de langage. J’avais l’impression de redécouvrir les mots, ce qu’ils font de nous, ce qu’ils disent de nos présences. Notre passion était cousue de ce tissu textuel. (c’est Youssef qui s’exprime)
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