28 décembre 2013

Le thé n'a plus la même saveur

 Titre : Le thé n’a plus la même saveur
 Auteur : El Hassane Aît MOH (Maroc)
  Editeur : L’Harmattan
  Genre : roman

            Voici un roman qui aborde avec lucidité deux sujets d’importance et d’actualité : la situation d’un immigré et le mariage de leurs enfants arrangé par les parents et par de-là la situation des femmes.
         H’ddou, jeune homme marocain, est jugé apte par un recruteur français avec la complicité des autorités locales, à « prêter ses bras » dans une entreprise de Lyon. 
           L’auteur raconte la sélection, le départ, le voyage, l’arrivée anonyme, la petite chambre Sonacotra à Lyon, la vie d’un célibataire.
          Un an après, retour au village, plus exactement à  Amerdoule, un village perdu quelque part entre une vallée et un oued (p. 51), cette fois en « facance ». Il est fêté comme un héros d’autant plus qu’il apporte moult cadeaux que chacun espère. Plantureux repas avec les villageois qui en profitent.
         Au deuxième retour, les deux familles ont arrangé un mariage avec une cousine, H’ra, qui, heureusement, est celle avec laquelle il a joué et « flirté », petit.
           Fête au village, preuve officielle et ostentatoire de la virginité de la jeune mariée, tradition et honneur obligent. Mais ce bonheur n’a qu’un temps. Il faut repartir.
           L’année suivante les choses se sont gâtées. La jeune femme, prise comme bonne à tout faire par la belle famille, est retirée par son dragon de mère et un divorce est prononcé sans l’avis de la jeune épouse.
            Retour difficile d’H’ddou à Lyon. Il vit, un temps, avec une jeune française, sans doute par compensation. Mais les préjugés des parents, la différence de culture vont contaminer leur relation et une séparation s’ensuit.
            C’est la chute pour H’ddou. Très mal au fond de lui puisque tout s’écroule, il se laisse aller, ne va plus au travail et les autorités préfectorales lui signifient son expulsion.
 Revenu à la case départ, il ne supporte pas l’atmosphère pesante au village. On n’admet pas l’échec d’un des siens. H’ddou doit quitter ce climat délétère et fuir  à Marrakech, la grande ville. Et au hasard d’un thé à la menthe qui aura la même saveur celui-là, la serveuse du bar n’est rien d’autre que son ex-femme….

          Ce roman au style linéaire a le mérite de mettre le doigt sur le contraste des cultures, la situation aléatoire de l’immigré, le poids écrasant des traditions et la persistance des superstitions dans un Maroc profond.
          En sociologue, Hassane Aït MOH, l’auteur, nous montre du dedans, la vie, parfois/souvent peu enviable d’un émigré (travail harassant, regards soupçonneux, logement exigu ou indécent, coupure affective, différence de religion). Et l’autre point fort de ce récit dévoile la vie, ô combien étouffante, des jeunes femmes marocaines : pression sociale, interdits en tout genre et en particulier religieux, omniprésence des familles, surtout des mères et belles-mères.
          Ce roman humaniste que l’on lit d’une traite a le mérite d’aborder des problèmes que les sociétés tant européennes que maghrébines auraient intérêt à régler rapidement.
          Un roman très intéressant.
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Citations
              « H’ra était déchirée entre ses sentiments d’amour et le jugement de la société qui plaçait les parents au dessus de tout et considérait l’amour comme une simple faiblesse de l’âme. Le cœur, dit-on, est aveugle » (p.79)

             « Plutôt les piqûres d’abeilles dans ton pays que le miel dans le pays des autres » (p.9 et 113).
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Qui est El Hassan Aït MOH ?
          Hassan est né en 1962 à Bouskour, une ancienne mine de cuivre, à côté de Ouarzazate, une ville moyenne, au pied du haut Atlas, au Sud-est du Maroc.
         Après le BAC, il étudie la sociologie et l’anthropologie à l’université de Lyon. En 1980, il obtient une maitrise de sociologie et une licence en sciences de l’éducation et plus tard, il décrochera un DEA en sociologie.
De retour au Maroc, il sera maitre d’école avant d’être appelé à la formation des maitres au Centre de Formation des Enseignants de Ouarzazate. Et en 2002, il rejoint la mission culturelle marocaine en France.
Berbérophone, Hassan maitrise à la perfection l’arabe et le français, langue qui est sa langue d’écriture.
Il habite la Drôme (France).
        Outre l’animation d’ateliers d’écriture, Hassan assure des formations interculturelles et des stages pour enseignants portant sur « la connaissance des publics porteurs de cultures différentes ».
El Hassane Aït Moh a aussi publié : « Le captif de Mabrouka » (2010) et « Les jours de cuivre » (2013), tous les deux aux éditions de L’Harmattan. 

       Avis du Centre Francophonie de Bourgogne: les 3 romans de El Hassane Aït Moh, écrivain marocain francophone, sont tous des livres forts. 
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Brève incursion dans l’imaginaire de l’écrivain :
- « J’ai d’abord écrit pour exorciser mes angoisses, mes déceptions ».

- « Le moteur de mon désir d’écrire, c’est aussi la volonté longtemps enfouie d’exprimer des émotions fortes, des opinions, des croyances ».




         

 -  « Je crois en le pouvoir des mots lorsqu’ils s’organisent en écriture ».

-  « L’écriture est pour moi une aventure…Elle libère une énergie créatrice qui nous emporte loin de notre quotidien…dans l’acte d’écrire, il y a souvent une volonté d’évasion, de découverte et de recherche. »

-  «L’homme est conditionné par sa propre culture dont il se sent fier ou qu’il rejette… Je pense que le fait de s’éloigner de son pays renforce l’attachement à ses origines. »

-  « J’ai un penchant dans mes écrits pour les personnes exclues, marginalisées…parler de ces gens-là, c’est leur redonner une forme de dignité dont les a privés la société ». (Extraits de l’interview à  Jadaliyya et à Perspectives Méditerranéennes).
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